Commentaire
- N.B. : Nous avons retrouvé une fiche similaire dans la rubrique TraAM du site de l'académie de Bordeaux sur la page La presse en ligne : qui fait l’info ? adressée à des classes de 2nde et de 1ère ES. Sans doute cette fiche est-elle issue d'une collaboration entre collègues de ces deux académies.
Présentation de la fiche
- La séance nous est présentée au travers de différents documents : fiche de préparation, fiche élève et son corrigé, fiche de questionnaire diagnostique et ses résultats. La fiche de préparation, de facture classique, distingue le cadre de la séance et son contexte, les objectifs d'apprentissage, le déroulement et un bilan. L'ensemble, constitué de quatre pages, permet de se représenter aisément la séance.
- Le lien vers le matériau de l'étape 2 relative à l'exposition des savoirs est malheureusement brisé à l'heure où nous le consultons (11-04-2016). Nous proposons de le remplacer par ce document, Rue89, Atlantico, Owni... L'avenir des pure players français, Bleat TV, 2012 (4 mn 38), lequel nous paraît contenir des informations similaires et à portée des élèves de ce niveau. Bien que ce dernier soit un peu plus récent, il faudra cependant tenir compte du fait que certaines données relatives aux titres de presse devront être actualisées.
Déroulement de la séance
- Une évaluation diagnostique prend place en amont de la séance afin de « bien cibler l'activité » proposée aux élèves. C'est sur l'analyse des résultats obtenus que l'auteure a ainsi choisi de centrer la séance sur les pure players. Ces résultats sont ensuite judicieusement présentés aux élèves lors de la phase d'introduction, favorisant certainement leur mobilisation tout en pointant vers des objets de connaissance ignorés.
- Plutôt que faire un exposé déclaratif à la classe, l'enseignante a préféré recourir à un court documentaire vidéo afin de présenter la question du cours qui est l'articulation entre le modèle économique et la ligne éditoriale. Une courte discussion prolonge et exploite le visionnage afin de s'assurer de la compréhension et de structurer les savoirs visés. L'activité d'application qui suit propose aux élèves d'analyser et de comparer deux exemples de pure players sur des points précis qui sont fixés par l'enseignante : l'accès aux informations, l'identité des auteurs, la présence de publicité, la nature des informations et le service de tri de l'information. Au terme de cette activité, il est demandé aux élèves d'émettre un choix entre les deux médias selon les besoins. Une mise en commun, nommée « restitution », clôt la séance. Elle permet d'approfondir les points importants à partir de la correction de l'exercice.
Méthode pédagogique
- Construite sur un triptyque tout à fait repérable, à savoir : exposition des savoirs / activité d'application / mise en commun, la séance utilise la méthode pédagogique expositive de type déclaratif puisque les connaissances visées relèvent de notions davantage que de procédures. En effet, les savoirs sont exposés en amont de la séance et non pas déduits de l'activité des élèves. La tâche proposée n'a pour but que de confirmer ce qui a été énoncé précédemment et de renforcer les acquisitions.
Objectifs d'apprentissage
- Du point de vue de la présentation des objectifs d'apprentissage, la fiche ne nous paraît pas claire. L'accumulation d'items (pas moins de 25 énoncés d'objectifs !) et la multiplicité des catégories invoquées (objectifs, repères, axes, enjeu) rend très difficile la détermination des connaissances qui sont réellement atteignables au terme de ces deux heures. Il faut en effet bien se représenter la séance et analyser l'activité pour arriver à identifier simplement ce qui est effectivement travaillé. Par ailleurs, la référence au PACIFI ne nous paraît pas opportune puisque ce document nie l'existence des notions info-documentaires. De même, les références au B2i lycée et au socle de 2006 nous semblent bien trop générales et évasives pour pouvoir constituer une base solide sur laquelle construire un apprentissage précis. A cela s'ajoute leur péremption.
- Au terme de notre analyse, nous avons proposé ci-dessus quelques objectifs d'apprentissage déclinés selon les trois formats habituels de connaissance. Les notions ciblées par cette séance, bien qu'elles soient davantage « abordées » que définies et structurées par les élèves, nous semblent devoir être :
- Journalisme participatif
- Économie de l'information
- Ligne éditoriale
Didactisation du savoir
- La notion « Journalisme participatif » nous paraît plus intéressante que celle de pure player, laquelle peut être simplement appréhendée en tant que type particulier de presse (en ligne). La définition qu'en donne Frank Rébillard (2011) : « l'intervention de non professionnels dans la production et la diffusion d'informations d'actualité sur l'Internet » nous invite considérer deux aspects de cette notion :
- la participation libre et gratuite de l'individu (citoyen) dans le sillage ouvert par le web 2.0.
- la construction de l'information journalistique en tant que proposition alternative aux médias professionnels
- Le premier aspect, relatif à la participation désormais rendue possible de tout un chacun, a donné naissance à une utopie démocratique selon laquelle le pouvoir des médias allait pouvoir être remis en question dans son rôle d'intermédiation. Le recul sur la dernière décennie montre au contraire les limites de cette attente. Du « tous journalistes » et de la « Révolte du pronétariat » d' Agoravox (2011, 2006) au « participatif encadré » de Rue89, puis « segmenté » de Médiapart qui sépare clairement le « Journal » de la rédaction (payant) du « Club » des lecteurs (gratuit), on assiste à une reprise en main ferme des médias de masse sur les « médias des masses ». Par ailleurs, le mythe d'une participation démocratique au quatrième pouvoir (la presse et les médias), voire de l'émergence d'un cinquième pouvoir (l'opinion publique) s'effondre à la lecture des études qui analysent le profil social des participants. Il apparaît ainsi que cette opportunité n'intéresse pas l'ensemble de la population mais « reste confinée à l'intérieur d'une frange intellectuelle de la société », sur-représentée par les enseignants du supérieur et les professionnels de l'information et de la culture (Rebillard, 2011).
- La construction de l'information journalistique, que ce modèle présenté comme alternatif tendrait à modifier radicalement, ne semble pas non plus être beaucoup perturbé. On assiste au contraire à une intégration progressive du participatif par les professionnels de l'information et les industries des médias, lesquels encadrent la participation et la contiennent en marquant nettement les frontières entre le professionnel et l'amateur. La crainte d'un processus d'ubérisation de la profession, provoqué par cette main d’œuvre gratuite et abondante, constitue certainement une limite à cette alternative (Bry, 2016). Mais elle comporte également un risque, celui du floutage des limites entre information vérifiée et information non vérifiée, qui peut s'avérer préjudiciable à court terme. Il convient par conséquent, à l'instar de Mediapart et du futur blog Rue89, de distinguer entre le travail de la rédaction et les apports d'une participation non-professionnelle.
- La didactisation de la notion “Journalisme participatif” reste à entreprendre. Nous proposons qu'elle s'organise autour de ces deux points, la dimension participative de l'individu et la construction de l'information journalistique, à considérer comme les caractéristiques essentielles de la notion. La première est corrélée aux fonctions participatives et à l'illusion démocratique du Web 2.0 (blog, réseaux sociaux numériques, médias de partage), mais également à l'économie de l'information et aux industries médiatiques, la seconde à la nature de l'information journalistique (type d'information) et à son évaluation. Nombre de ces aspects nous semblent pouvoir être abordés dès la 4ème.
- La notion “Économie de l'information” se réfère, selon Paul-Dominique Pomart (1998), à « *une discipline qui s'efforce de donner un fondement théorique aux échanges marchands d'information* ». Elle caractérise également un secteur d'activités économiques en plein essor depuis les années 80, en conséquence de la crise énergétique mondiale, et exerce une influence croissante dans l'économie en général des sociétés post-industrielles. Indissociable du système capitaliste, l'économie de l'information peut être saisie dans une tension entre la libre circulation des valeurs prônée par le modèle libéral et la nécessité d'une régulation assurant la protection de données informationnelles sensibles, pouvant affecter la vie privée de l'individu comme les intérêts stratégiques d'une entreprise (brevets) ou d'un pays (défense). Considérant la branche particulière de l'économie des médias, laquelle intéressera nos élèves dans le cas présent, Jean-Michel Salaün nous offre une prise plus facilement didactisable en distinguant trois grands modèles de valorisation commerciale. Il s'appuie sur le travail du collectif Pédauque (2006) qui a mis en évidence les trois dimensions du document : la forme (le Vu), le contenu (le Lu) et la relation (le Su). Le Vu, en premier lieu, se réfère au modèle économique de l'édition, fondé sur la gestion des biens et devant répondre aux problématiques de la création et de la protection des œuvres (droit d'auteur). En second lieu, le Lu reprend le modèle de la bibliothèque, basé quant à lui sur une économie de service et devant faire face à des problèmes d'accès, de bien commun et de mémoire. Nous retrouvons là un des héritages principaux du web qui trouve une partie de ses solutions économiques dans la valorisation et la monétisation de ses services. Enfin, le Su, selon Salaün, se réfère au monde du spectacle et à son modèle de la transmission dont le principe est la captation de l'attention de son public (radio, télévision, cinéma, presse, web) et se rétribuant à la fois sur celui-ci et auprès des annonceurs souhaitant cibler leur message. Le web a ceci de particulier que, à l'instar de la presse, il conjugue les trois marchés présentés : la vente de biens (e-books, musique, vidéos, articles de journaux, livres, DVD, etc.), de services (accès, abonnements, licences) et d'attention (publicité en ligne, monétisation des comportements des internautes). La réalité économique décrite ici s'oppose à cette vision idéaliste caractérisant l'idéologie de la « société de l'information », selon laquelle le partage désintéressé des biens et des services et l'avènement d'une intelligence collective (Lévy, 2002) seraient les gages d'un « nouveau fonctionnement démocratique, décentralisé et convivial » basé sur l'économie primitive du troc et de la cueillette (Weygand, 2008).
- La notion « Ligne éditoriale » est plus aisément abordable par les élèves du secondaire. Elle peut être simplement présentée comme un « *ensemble de règles qui définit la manière dont l’actualité va être traitée dans un média. Une ligne éditoriale peut être conservatrice, satirique, orientée politiquement ou culturellement. Elle reflète la position et l’identité d’un média face au traitement de l’actualité* » (Giraud, 2015). Les notions qui lui sont corrélées sont dès lors celles de « Source » et de « Discours », mais on pourra également rappeler le schéma basique de la communication pour montrer comment les liens qui unissent l'émetteur (éditeur) au récepteur (public ciblé) sont indissociables du message (discours) et du canal (support). Plus concrètement, la ligne éditoriale se constitue à partir de choix effectués sur les éléments suivants :
- les sujets à traiter ou à éviter
- le point de vue, ou angle de traitement des sujets
- la signature (la responsabilité, l'ouverture à des contributeurs non professionnels)
- le ton et le langage employés, qui déterminent un certain rapport au lecteur
- le lectorat cible
- la fréquence de publication
Le choix d'une ligne éditoriale est une nécessité pour chaque média source qui peut ainsi se démarquer de ses concurrents et occuper une niche bien spécifique et repérable. Elle contribue fortement à construire son image et offre ainsi des repères aux lecteurs. Elle lui assure également une cohérence sur le long terme, bien qu'étant susceptible de révision pour s'adapter aux évolutions du marché et de la société.
Notons enfin que, si de nombreux lexiques et glossaires sont disponibles pour aborder avec les élèves le vocabulaire de la presse et des médias d'actualité, très peu abordent cette notion.
Structuration des connaissances
- Aucun moment dédié à la structuration individuelle des connaissances n'est indiqué sur la fiche de préparation. Sur la fiche élève, la dernière question aborde une synthèse des informations collectées par les élèves pendant l'activité. Mais se résumant à choisir entre l'un ou l'autre titre, elle ne permet pas de composer une réponse argumentée ni de structurer l'apprentissage. On attendrait une question permettant aux élèves de verbaliser ce qu'ils ont appris, compris ou retenu de cet exercice formel de comparaison, afin de tendre vers ces « constats génériques » comme le note l'auteure elle-même.
Évaluation des apprentissages
- Une évaluation diagnostique est proposée en amont de la séance qui a pour double effet de donner une orientation à l'enseignante pour lui permettre de mieux répondre aux besoins des élèves et de mobiliser l'intérêt de eux-ci par une implication personnelle.
- Par contre, aucun dispositif d'évaluation des apprentissages n'est présenté en aval de la séance, si ce n'est la possibilité donnée de valider des compétences numériques du B2i. Il nous paraîtrait cependant intéressant de donner la possibilité aux élèves de réinvestir ce qu'ils ont remarqué et déduit de l'activité appliquée à ces deux médias d'actualité pour verbaliser une argumentation prenant appui sur les notions de journalisme participatif, d'économie de l'information et de ligne éditoriale. Une re-contextualisation pourrait même être opérée à partir du cas d'un troisième pure player comme « Les jours » par exemple.
Conclusion
- Outre l'invitation qui nous est faite de questionner un phénomène médiatique actuel en cours d'évolution, cette fiche nous intéressera notamment pour sa proposition d'évaluation diagnostique et pour le corrigé de la fiche élève. Afin de pouvoir l'améliorer, nous proposons de préciser les objectifs d'apprentissage et de cerner et d'approfondir la didactisation des trois notions « Journalisme participatif », « Économie de l'information » et « Ligne éditoriale », dont les deux premières intéressent particulièrement l'objet « *pure player* ». Cette didactisation déboucherait notamment sur l'élaboration des caractéristiques essentielles de ces notions ainsi que sur la rédaction de niveaux de formulation. Ces derniers fourniraient ainsi la matière pour une évaluation sommative structurante.